sábado, marzo 10, 2007

pompéi version latina

Ceux qui ont plus de vingt ans se souviennent peut-être du visage de cette petite fille :
Quand j’étais petite, entre les restes de la dinde de Noël et les Dix Commandements à la télé, ma grand-mère qui lisait et gardait avec soin tous les Paris- Match m’avait montré cette photo. Pendant que Moïse séparait les eaux, une avalanche de boue emportait tout un village de Colombie fin 1985, Armero. Le Nevado del Ruiz, un volcan pas très loin de là, avait commencé depuis quelques jours à cracher des cendres et à faire fondre à gros bouillons sa neige immaculée. - Pourtant le curé de l’Eglise avait assuré aux Armeritas que les dix plaies ne s’abattraient pas sur Armero – en tout cas lui n’était pas là le jour de catastrophe ; les mauvaises langues auraient dit par la suite que c’était châtiment bien mérité pour une ville qui tâtait un peu trop du veau d’or, la deuxième ville de la région brassait pas mal d’argent, de cantinas et de filles.

Le symbole de la tragédie d’Armero et de ses 25 000 morts c’est Omayra, de la boue quasiment jusqu’au yeux, les jambes coincées par je ne sais quoi, les pieds reposant sur la tête du cadavre de sa tante, mais une force, une dignité et un courage extraordinaires pour affronter ses trois jours d’agonie qui ont forcé l’admiration de tous, ceux qui tentaient de la secourir mais aussi ceux qui la voyaient à la télévision, parce qu’elle est morte sous les caméras du monde entier sans qu’on ait pu la sauver – et hop, encore une belle polémique sur le voyeurisme. Aujourd’hui elle est devenue Santa Omayra, sa tombe est toujours fleurie et les gens viennent en pèlerinage pour lui rendre hommage ou attendre d’elle une guérison miraculeuse.







Vingt ans après, Armero est une ville fantôme. En dehors du jour de la commémoration et de la Semana Santa, on se sent un peu seul au milieu de cette vaste étendue laissée à l’abandon, du soleil douloureux, des croix blanches semées un peu partout et renversées de temps à autre par les satanistes (la faute à Jean-Paul II, venu transformé Armero en camposanto ?) et des ruines éparses de maisons bouffées par la végétation qui part dans tous les sens - il y a bien des bestioles qui hurlent, bien présentes, des chicharras, des insectes qui se mettent à siffler comme des fous dès qu’il fait chaud - et plus il fait chaud et plus ils sifflent, et plus ils sifflent et plus ils risquent d’éclater - et au bout d’un moment ils éclatent vraiment. Les seuls trucs restés intacts, c’est la chambre forte de la Bancolombia et le cimetière, protégé par une colline, le sort fait bizarrement les choses me direz-vous, il préserve les morts et pas les vivants, mais non, même eux, la plupart des tombes sont profanées, défoncées d’un côté puis de l’autre, quand on tombe d’abord sur les pieds et pas sur le crâne.



La première fois que j’y suis allée, j’avais rencontré un survivant d’Armero qui m’avait raconté son histoire et servi de guide. Il avait aussi ajouté, à plusieurs reprises, qu’ici les filles on les violait, qu’on les découpait en morceaux et qu’on mettait là le bras, là les seins, là les doigts, qu’il ne fallait pas faire confiance, qu’ici c’était infesté de paramilitaires et de guérilla à partir de 17h, et ça il ne l’a pas dit mais écrit, autodétruisant immédiatement après le papier en petits morceaux, un doigt sur la bouche. Je ne m’étais pas sentie très fière à l’époque.

Cette fois-ci j’ai fait les choses plus correctement, je suis venue accompagnée et fait des trucs auxquels on ne pense pas forcément, en tout cas moi, genre se cacher quand on entend quelqu’un s’approcher, éviter de trop s’attarder à prendre des photos au bord de la route qui traverse les ruines, parce qu’ici on est franchement au milieu de nulle part et très franchement complètement démunis.



Cette fois-ci il y avait aussi des trucs qu’il n’y avait pas avant, des pancartes explicatives. Entre-temps était né le projet Armando Armero, qui veut qu’on se souvienne et qu’on prenne conscience, pour le travail de mémoire et pour la construction du futur, pour les survivants et pour la nouvelle génération qui n’a pas connu le drame. Parce qu’il y avait déjà eu deux précédents, deux catastrophes, exactement au même endroit, qu’en 1985 on avait dépêché des scientifiques pour observer le volcan qui commençait à s’agiter, que le maire d’un petit village qui se trouvait sur le trajet de l’avalanche de boue avait prévenu celui d’Armero, que le maire d’Armero avait téléphoné au gouvernement du Tolima pour obtenir l’autorisation de faire évacuer la ville, qu’on lui avait ri au nez et que de toute façon on était pas équipé pour.

La Colombie a de sérieux problèmes de mémoire et une histoire qui se répète, on prône une politique de l’oubli parce que le passé n'est pas gai, que ça fait mal et que ça arrange certains.
Heureusement, il y a aussi plein de Colombiens qui luttent contre l’oubli. Armando Armero, c’est la possibilité pour les victimes de se souvenir et de se reconstruire, la possibilité pour les générations futures d’apprendre pour ne pas répéter le drame, au travers de pancartes qui racontent le vieil Armero, expliquent le fonctionnement d’un éruption ou définissent une catastrophe naturelle, au travers bientôt d’un musée ou du développement d’un axe touristique.

Des pancartes racontent l’histoire des fous du village et des indigentes, avec beaucoup de pudeur et de respect, ici les indigentes ne sont pas des déchets comme à Bogota, ils font partie de la mémoire collective.
L’une d’elle raconte l’histoire d’une patiente de l’hôpital psychiatrique voisin, qui faisait le mur régulièrement et arpentait nue les rues d’Armero. Elle était très belle et on l’avait appelée « Miss Universo ». Elle avait un amant, un indigente qui vendait des noix de coco dans Armero et qui avait pour habitude de séduire les fugueuses, de les emmener jusqu’au fleuve, de les baigner, les peigner et de leur faire l’amour au bord de l’eau.



Je laisse le mot de la fin à Pachito :

Nous sommes nés ici, nous ne savons pas où ni quand nous allons mourir mais en attendant on est à votre service à Mariquita, rue 7 n°6-61. Chez Pachito, Freins.